Hamdiya Katchirika connaît très bien le problème. Cette Togolaise l’a vécu.
« Quand j’étais plus jeune, lorsque j’avais mes règles mon père refusait que je cuisine pourtant nous vivions à Lomé et mon papa est ouvert d’esprit » raconte-t-elle.
Maintenant elle et ses camarades passent leur temps à organiser des tournées dans les lycées et villages du Togo pour discuter avec les filles de leurs règles. Elle a fondé l’association Empower Ladies.
Démystifier le tabou
Des fois, les jeunes filles qu’elles rencontrent refusent même de reconnaître qu’elles ont leurs menstrues.
»Il faut les mettre en confiance parce que lorsque nous parlons et elles refusent toutes de dire qu’elles sont réglées surtout s’il y a une présence masculine que ce soit leurs camarades ou les professeurs », dit Hamdiya.
Dans le cadre d’une Etude sur la Gestion de l’Hygiène Menstruelle (GHM) au Togo, 28% des filles interrogées ont ainsi déclaré que les règles sont des saletés de la femme, des déchets de l’organisme ou une odeur gênante.
« Il y a dans ce pays foule d’idées reçues et d’informations inexactes sur les menstruations nourries par les coutumes et traditions. » dit Hamdiya.
Une fois la confiance établie, les langues se délient, et les volontaires peuvent transmettre leurs messages à savoir que »les règles, c’est naturel. On a pas demandé à les avoir donc on ne peut pas avoir honte de cela. On peut se protéger. On peut prendre soin de notre corps pendant ce moment de notre vie ».
La hantise de la fuite
Elles sont formées dans l’utilisation des serviettes hygiéniques jetables lorsque c’est la première fois qu’elles les voient et dans l’utilisation des serviettes lavables fabriquées et distribuées par l’association Empower Ladies.
Mais pour Hamdiya, le plus difficile c’est de lutter contre les préjugés car dit-elle, ils sont plus tenaces dans les régions reculées.
« Certaines filles par exemple quand elles ont leurs règles, elles ne doivent pas le dire parce que si elles le disent elles sont considérées comme impures. »
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« Il y en a qui ne vont plus à école parce qu’elles ont peur d’être tachées ou parce qu »on leur a dit qu’une femme qui a ses menstrues, tout ce qu’elle touche porte malheur. Donc elle se met à l’écart et ne peut même pas manger avec les gens. J’ai rencontré des filles qui m’ont raconté avoir vécu cela. Du coup certaines disparaissent pendant leurs règles, elles vont chez leurs amies ou des tantes, en tout cas loin des membres masculins de la famille, et les parents savent alors que c’est leur période du mois » raconte la jeune femme
Les règles, une réalité pas joyeuse
Pour beaucoup de femmes à travers la planète, les règles c’est la période des crampes, des jambes lourdes, bref d’un mal-être diffus et souvent inexplicable.
En somme, un moment pas très joyeux mais supportable. Mais pour 500 millions de femmes à travers la planète, ce moment du mois se vit dans d’interminables angoisses.
Car les règles sont sources de stigmatisations et de honte.
Pourtant, une femme aura ses règles une fois par mois, pendant environ 35 à 40 ans de sa vie, ce qui représente environ 3000 jours – plus de 8 ans – de règles au cours de sa vie selon WaterAid.
Cette ONG ajoute qu’à tout moment, 800 millions de femmes et de filles dans le monde ont leurs règles.
Mais encore aujourd’hui, bien trop de femmes subissent cette expérience biologique naturelle au lieu de la vivre.
En cause, les difficultés d’accès aux produits d’hygiène menstruelle, à des espaces privés pour les utiliser, les nettoyer entre autres.
Sans accès à l’eau potable, les femmes et les filles réutilisent des linges menstruels sales, ce qui les expose à des risques d’infection.
Qu’est-ce que la précarité menstruelle ?
Le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) définit la précarité menstruelle comme « les difficultés de nombreuses femmes et filles à se payer des protections hygiéniques à cause de leurs faibles revenus ».
Mais cette définition ne prend pas en compte les stéréotypes, préjugés, fausses idées et informations qui circulent autour des règles, et qui concourent à faire de cette période du mois, un enfer pour bien trop de femmes et de filles encore aujourd’hui.
La coupe menstruelle et les culottes lavables
Sara Eklund a créé l’entreprise Noble Cup dans son pays l’Ethiopie.
L’idée est partie d’un constat simple : en Éthiopie les filles n’ont pas toujours ou ont très peu accès aux produits d’hygiène menstruelle. Et la coupe menstruelle en particulier n’y est pas très connue.
Les produits d’hygiène menstruelle utilisés dans le pays sont surtout les serviettes hygiéniques et les tampons dans une moindre mesure.
»L’avantage de la coupe menstruelle c’est que c’est plus économique et plus écologique surtout dans les quartiers précaires », avance Bénédicte Joan coordinatrice de Noble Cup en Côte d’Ivoire.
Comment fonctionne la coupe menstruelle?
Une coupe menstruelle est un dispositif de protection hygiénique féminine utilisé lors des menstruations.
Constitué d’une petite coupe en forme d’entonnoir aux bords arrondis et terminé le plus souvent par une petite tige, l’objet est fait en silicone médicale.
Placée à l’intérieur du vagin pour recueillir le sang, la coupe menstruelle se conserve jusqu’à douze heures en place, avant de devoir être vidée, rincée puis réinsérée.
Il est possible pour les filles vierges d’utiliser la coupe menstruelle mais dans ce cas il est recommandé d’insérer la coupe très progressivement.
L’hymen doit être suffisamment élargi pour laisser passer la coupe menstruelle. Comme lors de l’utilisation d’un tampon, il est possible pour celui-ci de se rompre.
Comparé aux tampons et serviettes hygiéniques qui doivent être changés au minimum toutes les quatre heures, la coupe qui ne produit pas de déchets peut être, en effet, plus économique pour certaines personnes.
Dans le contexte africain, il s’agit d’une alternative intéressante car comme le souligne Bénédicte , il y a beaucoup de jeunes filles en Côte d’Ivoire qui ont du mal à changer leurs protections menstruelles parce qu’il n’y a pas de toilette dans toutes les écoles, d’où l’intérêt de la coupe qui se garde plus longtemps.
»En général pour faire pipi ou changer les serviettes, elles doivent aller chez la copine la plus proche ou courir à la maison mais avec la coupe ce problème est réglé ».
Noble Cup réfléchit aussi à la production de serviettes et de tampons écologiques à proposer aux jeunes filles en Côte d’ivoire.
L’association Train and Travel fondée par Bénédicte Joan forme des jeunes filles à devenir guides touristiques dans le village de Kofakoi.
Mais à cause de l’accès pas toujours évident aux produits d’hygiène menstruelle, certaines des guides touristiques ne viennent pas travailler lorsqu’elles ont leurs règles et perdent ainsi le revenu que cette activité leur procure.
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De là est venue à Bénédicte l’idée de la confection et la distribution des culottes menstruelles lavables.
Une culotte menstruelle est une protection hygiénique externe et lavable destinée à absorber le flux sanguin des règles, les retours de règles, et les pertes blanches.
« L’idée est de leur permettre de travailler de façon sereine pendant plusieurs heures et à ne pas avoir de frein pour gagner leur vie » explique Bénédicte. Mais ici aussi, des préjugés bien ancrés ont rendu leur projet difficile.
»Les filles rencontrées lors de l’atelier à Kosakoi ne voulaient même pas utiliser les serviettes hygiéniques jetables car elles pensent qu’on peut s’en servir pour leur jeter des sorts puisqu’il y a leur sang dessus » se souvient-elle.
La majorité de ces jeunes filles utilisaient des chiffons et autres linges pendant leurs règles et elles se contentent de les retourner lorsqu’ils sont mouillés, s’exposant par là même aux infections.
»On leur a expliqué que les culottes doivent être lavées après utilisation. Donc on leur en donne deux chacune et après chaque utilisation, il faut les laver et les sécher et personne ne verra votre sang puisque les culottes qu’on vous donne sont foncées » dit-elle.
Gouttes rouges
L’association Gouttes rouges a été créée par un groupe d’activistes ivoiriens en novembre dernier.
L’organisation a un site web et des pages sur les réseaux sociaux au travers desquels les membres sensibilisent sur la précarité menstruelle qui selon sa fondatrice Amandine Yao »est très présente en Côte d’ivoire »
»Combattre l’illettrisme menstruel »
A cause du tabou qui entoure les règles, beaucoup de filles ne savent pas ce qui leur arrive la première fois qu’elles ont leurs règles. C’est là qu’intervient Gouttes rouges.
Les filles écrivent aux membres de l’association sur leurs différentes pages sur les réseaux sociaux pour avoir des informations et savoir comment gérer cette délicate période de leur adolescence.
L’association informe aussi sur les alternatives aux serviettes hygiéniques, car de l’avis d’Amandine Yao la majorité des Ivoiriennes utilise soit les serviettes hygiéniques soit des morceaux de tissus, des linges ou des chiffons pendant leurs règles.
Enfin Gouttes rouges s’attaquent aussi aux préjugés sur les règles. »Dans un quartier de Marcory une femme nous a dit que dans sa tradition, quand elle a ses règles, elle ne cuisine pas pour son mari parce qu’elle est impure. Toutes les volontaires étaient choquées » se rappelle-t-elle.
En outre, nous dit Amandine »à Abidjan, beaucoup de lycées n’ont pas de toilettes et lorsqu’ il y en a, il n’y pas de serviettes hygiéniques ».
Du coup, avec ses camarades activistes, ils ambitionnent de doter ces établissements de points relais pour fournir gratuitement des serviettes aux élèves tout en sensibilisant sur la nécessité d’avoir des toilettes dans chaque lycée
Les Abeilles solidaires
Les Abeilles Solidaires œuvrent pour appuyer le système éducatif et le développement des collectivités territoriales au Sénégal à travers différents programmes, dont celui sur la lutte contre la précarité menstruelle.
Des visites dans plusieurs établissements scolaires ont attiré l’attention d’Amy Samb, fondatrice de l’association sur cette problématique
»Les maîtres ont attiré notre attention sur le fait que des filles manquaient l’école à cause de leurs règles, par manque de moyens pour s’acheter des protections hygiéniques, ou à cause des toilettes inadaptées dans les écoles » explique-t-elle.
L’association décide ainsi d’offrir aux élèves qui n’en ont pas les moyens des kits de protections hygiéniques.
»Pour moi, il n’est pas acceptable qu’une jeune fille soit contrainte de manquer les cours parce qu’elle ne peut pas s’acheter une protection hygiénique. »
Les Abeilles Solidaires ont déjà mené des activités dans des écoles et lycées de Guédiawaye et Bargny (dans la banlieue de Dakar), ainsi qu’à Ngoye (dans la région de Diourbel).
Amy Samb est frappée lors de ces visites par l’insalubrité, l’absence de points d’eau.
»Dans les zones rurales toutes les filles interrogées affirment aller dans les maisons voisines pour se changer ne supportant pas l’état des toilettes dans les écoles ».
L’éducation est indispensable dans la construction de la confiance en soi des jeunes filles et notre campagne #NonàLaPrécaritéMenstruelledanslesécoles vise à sensibiliser l’opinion sur ce grave problème de société qu’est la précarité menstruelle en milieu scolaire » dit-elle.
Source:BBC.com